Leçons universelles d’un urbaniste africain

Article rédigé par Daniel Biau – Avril 2021

Un hommage collectif

Alioune Badiane n’avait pas encore 66 ans lorsqu’il nous a quittés le 31 juillet 2020 à Dakar, emporté par la pandémie du Covid-19. Brillant fonctionnaire international, Alioune a été pendant deux décennies l’un des directeurs les plus influents d’ONU-Habitat, l’agence des Nations unies pour les villes. Urbaniste, il a consacré sa vie à l’amélioration des conditions de vie et de logement des populations défavorisées et au développement durable des villes africaines.

Coordonné par Daniel Biau et Jean-Pierre Elong Mbassi, avec la contribution de 48 collègues, anciens collègues et amis d’Alioune, de 25 nationalités, le livre “Alioune Badiane, Homme du Futur” est structuré en six chapitres comprenant 20 articles qui couvrent toutes les dimensions des politiques et pratiques en matière d’urbanisme et d’habitat. Il met en lumière l’héritage d’un brillant leader africain dont les activités professionnelles devraient guider les futures générations de maires et de ministres, au bénéfice des femmes, des hommes et des enfants d’Afrique et d’ailleurs. Il ressuscite également 30 ans de débats intellectuels et politiques et de changements de paradigmes, au profit des experts du développement international et des spécialistes de l’urbanisme.

Notre livre constitue un hommage à un grand leader qui a incarné les valeurs des Nations Unies, des valeurs non seulement de professionnalisme mais aussi d’objectivité et de respect de la diversité. Il vise surtout à préserver les messages importants qu’Alioune partageait avec ses collègues, dont beaucoup ont tenu à célébrer sa mémoire à travers un ouvrage collectif.

À notre connaissance, cet effort est sans précédent dans l’histoire de l’ONU. Des biographies de leaders charismatiques comme Dag Hammarskjöld ou Koffi Annan ont été publiées, mais jamais auparavant une telle collection de témoignages à la mémoire d’un collègue disparu n’avait été réunie par ses pairs, par ceux qui le connaissaient intimement et appréciaient une interaction aussi durable et stimulante.

Alioune était un pionnier du développement et un panafricaniste. Il avait étudié sur trois continents et voulait apprendre du monde entier. C’était un municipaliste convaincu qui avait travaillé à la municipalité de Dakar, dans le département du développement urbain, avant d’entrer au CNUEH(Habitat).

Nos points de vue convergeaient, mêlant optimisme et pessimisme. En parlant des villes, nous développions souvent notre analogie préférée entre le corps humain et le corps urbain, deux systèmes extraordinairement complexes qui nécessitent des interventions multiformes. En mai 2020, nous avons échangé nos articles sur Covid-19. Le sien, ” Pandémies, coronavirus et résilience des villes en Afrique “, avait été publié le 17 mai ; le mien, ” Les défis urbains du post-Covid-19 en Afrique “, quatre jours plus tard. Ecrits simultanément mais sans aucune concertation, ils révèlent la concordance de nos pensées.

Notre dernière rencontre eut lieu lors du Forum Urbain Mondial d’Abu Dhabi en février 2020. Tout en visitant la Grande Mosquée Sheikh Zayed, nous avions alors évoqué le premier Forum Urbain tenu en 2002 à Nairobi. Ensemble, nous avons favorisé et vécu deux décennies d’échanges internationaux sur la planification et la gestion urbaines, impliquant au total plus de 100 000 participants.

En mémoire d’Alioune, nous transmettons aux nouvelles générations d’urbanistes un certain nombre de chapitres qui couvrent tout le champ d’action d’ONU-Habitat. Ils offrent un panorama des différentes facettes à considérer lorsqu’on parle des “établissements humains”. Ils traitent des politiques urbaines et du logement, de l’environnement urbain, de la planification territoriale, de la gestion municipale, de la réponse aux catastrophes, de l’impact du changement climatique, de l’importance de l’analyse et des partenariats, et bien sûr de la nécessité du leadership. Dans ce livre, les lecteurs retrouveront l’esprit et les engagements d’un collègue de premier plan, et ses combats pour un développement équitable, durable et inclusif, des combats que nous avons tous partagés et que nous continuons à partager. Ces leçons ne sont pas seulement valables pour l’Afrique mais pour le monde entier.

Alioune Badiane et Daniel Biau – Amman 2008
En parcourant les chapitres du livre

Il existe plusieurs façons de diviser thématiquement nos domaines d’action. Nous avons cherché à adopter la structure la plus simple et la plus logique, en gardant à l’esprit que toute politique urbaine doit articuler intelligemment différentes composantes, agir sur tous les fronts et ne pas faire l’impasse sur le social, l’économique, l’environnemental ou le culturel. Tout comme le corps humain, le corps urbain requiert à la fois des généralistes et des spécialistes.

Le premier chapitre (De Dakar à Port-au-Prince) décrit comment la carrière d’Alioune a combiné un intérêt constant pour son pays d’origine, le Sénégal, avec ses fonctions internationales. Ce parcours commence par son travail d’urbaniste à Dakar, d’abord au niveau du gouvernement central, puis au sein du gouvernement local. Le chapitre décrit ensuite ses débuts aux Nations Unies en 1991, lors de la crise en Haïti. Alioune travaillera pour ONU-Habitat pendant 25 ans.

Le deuxième chapitre (Planifier et gérer l’urbanisation) offre une vue d’ensemble des différents domaines d’expertise qui caractérisaient Alioune Badiane en tant que spécialiste urbain aux multiples facettes. Dans les années 1990, Alioune fut le coordinateur régional pour l’Afrique sub-saharienne du plus grand programme multilatéral sur les questions urbaines, le Programme de gestion urbaine (PGU) qui associait le PNUD, le CNUEH et la Banque mondiale. Ce programme a identifié les principaux défis auxquels les villes africaines doivent faire face et a initié un processus continu de renforcement des capacités qui est toujours en cours. Au cours de la décennie suivante, Alioune fut le directeur du Bureau régional d’ONU-Habitat pour l’Afrique et s’est davantage concentré sur la planification et la sécurité urbaine. Il a souvent insisté sur l’importance d’une planification adéquate des extensions urbaines dans un continent en cours d’urbanisation rapide. Dans les années 2010, la nécessité de renouveler les politiques urbaines nationales est apparue et, là encore, Alioune a pris les devants, non seulement en Afrique mais aussi dans d’autres régions en développement.

Le troisième chapitre (Loger la planète) se concentre sur l’un des besoins les plus fondamentaux et les plus pressants des êtres humains, le logement adéquat, qui doit être considéré à la fois comme un besoin et comme un droit humain. Alioune a pris une part active aux campagnes mondiales de plaidoyer d’ONU-Habitat pour promouvoir le logement pour tous, notamment pour améliorer les conditions de vie de centaines de millions d’habitants des bidonvilles. L’adoption et l’application de réglementations foncières progressives, visant à garantir la sécurité d’occupation et des densités adéquates, étaient essentielles à cet égard. Alioune était un défenseur déterminé des pauvres des villes, conseillant et mettant au défi les ministres et les maires du monde entier afin de mieux s’attaquer à la pauvreté et aux inégalités urbaines.

Le quatrième chapitre (Répondre aux défis) traite de deux grandes catégories de problèmes : la détérioration de l’environnement urbain et l’impact des catastrophes naturelles et causées par l’homme sur la vie urbaine. La qualité de l’environnement bâti fut une préoccupation majeure d’Alioune depuis son temps comme coordinateur régional du PGU. Il a promu une approche proactive de la planification et de la gestion de l’environnement qui a été appliquée à plus de 100 villes dans le monde. La gestion des déchets et l’efficacité énergétique étaient des composantes importantes de cette approche. Alioune a également dirigé les efforts d’ONU-Habitat en matière d’adaptation des villes à l’impact du changement climatique, comme en témoignent les actions contre les inondations récurrentes au Sénégal et au Mozambique. Il a également été impliqué dans de nombreux programmes post-conflit, de la R.D. du Congo à la Somalie ou l’Irak, associant la reconstruction physique à celle des capacités institutionnelles, légales et individuelles.

Le cinquième chapitre (Connaître les villes) montre comment Alioune a essayé de comprendre les dynamiques urbaines comme base de toutes les actions, des réformes politiques aux programmes concrets d’amélioration des bidonvilles. Sur le plan politique, il était convaincu que les autorités locales devaient jouer un rôle beaucoup plus important dans la planification et la gestion urbaines. Il a soutenu fermement leurs associations nationales et internationales. Il était également passionné par les données, les statistiques et les indicateurs urbains qui, dans la plupart des pays, restent insuffisants, dépassés ou approximatifs. Il a préconisé la mise en place d’observatoires urbains à différents niveaux. Parmi ses principaux legs figure la série de rapports biennaux sur “L’état des villes africaines”, dont la première édition a été publiée en 2008. Ces rapports régionaux comparatifs complètent le Rapport mondial sur les villes et les rapports nationaux que les gouvernements se sont engagés à produire. Ils sont essentiels pour guider le développement des politiques urbaines et de logement et pour soutenir les échanges internationaux.

Le dernier chapitre (Animer et plaider) concerne le partage des meilleures pratiques et politiques avec tous les acteurs et le soutien aux organisations de la société civile, en particulier les associations de femmes. Alioune était habitué à négocier avec les gouvernements et à construire un consensus autour des priorités de l’ONU. En outre, il a travaillé avec un certain nombre d’ONG pour s’assurer qu’ONU-Habitat était plus qu’un organe intergouvernemental et qu’il répondait aux besoins et aspirations réels des gens. Enfin, le chapitre décrit le style de gestion et de leadership qui était la marque de fabrique d’Alioune, fait d’interactions multiples, de respect mutuel, d’intégrité et d’engagements partagés. Alioune était autant un facilitateur interne qu’un avocat externe.

Alioune Badiane, Maimunah Mohd Sharif (Directrice Exécutive d’ONU-Habitat) et Maggie Cazal (Présidente-Fondatrice d’USF Urbanistes Sans Frontières) – Juillet 2018 à New York – Siège de l’ONU

“Alioune Badiane, Homme du Futur” est publié par Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique (CGLUA) avec une préface de la Directrice Exécutive d’ONU-Habitat, Mme Maimunah Mohd Sharif, et une postface de Jean-Pierre Elong Mbassi, Secrétaire Général de CGLUA. Jean-Pierre et moi fûmes à la fois collègues et amis d’Alioune pendant trois décennies. Grâce à ce livre, nous espérons que la mémoire d’Alioune éclairera notre avenir, dans les villes et les quartiers d’Afrique comme dans le reste du monde, non seulement dans nos bibliothèques, mais aussi dans nos imaginations et nos pratiques concrètes.

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Daniel Biau est Ingénieur civil, Urbaniste et Docteur en sciences sociales. Né en France, il a travaillé pendant 23 ans pour les Nations Unies, notamment en tant que Directeur exécutif adjoint d’ONU-Habitat. Il a fondé le Forum Urbain Mondial en 2002 et a publié de nombreux articles sur les politiques urbaines (voir www.danielbiau.webnode.com).

 

Alioune Badiane Homme du futur – Un livre essentiel
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